dans le cadre du Printemps des poètes 2020
Médiathèque Henri Cartier-Bresson – lundi 9 mars
Nous avons profité de la présence dans ce cercle de lecture de deux participants d’origine turque pour nous intéresser à Istanbul, la Turquie et l’empire Ottoman, au travers de la lecture du roman de Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants. L’un de ses participants nous a fait un superbe exposé intitulé : « Istanbul, ma ville natale ». L’idée de poursuivre à l’intérieur de cette aire culturelle nous a amenés à nous intéresser au poète Orhan Veli. Et nous avons demandé à Jean-Baptiste Para, poète lui-même, traducteur et écrivain, de nous présenter cette poésie singulière.
Il a ainsi commencé par situer ce poète, né en 1915 et mort en 1950, dans la révolution qu’a vécue la Turquie, tant sur le plan politique que culturel, avec la fin de l’empire ottoman et la naissance d’un état laïque, au lendemain de la Première guerre mondiale. Nâzim Hikmet a alors constitué un modèle pour toute une génération de jeunes poètes, bouleversant la poésie et rompant avec les formes traditionnelles ottomanes. Tout comme cet aîné avant lui, Orhan Veli va à son tour tenter de mêler des formes nouvelles à une langue vivante.
C’est au travers d’un poème solitaire et très simple, tout du moins en apparence, que Jean-Baptiste Para nous fait approcher des écrits de ce poète :
« Es-tu toujours en vie ?
Essayant d’accrocher la queue
Du cerf-volant que nous fabriquions,
Je sentais battre ton petit cœur affolé.
Il ne me venait même pas à l’esprit
De te dire ce que je ressentais pour toi.
Es-tu toujours en vie ? »
Août 1937
L’émotion, a-t-il ajouté, naît du rapport entre ce qui est dit et ce qui est simplement suggéré. La parole naît d’un souvenir et d’un silence, mais aussi elle raconte ce silence et nous accueille en lui. Ce poème fait l’effet d’un simple caillou lancé dans l’eau et qui provoque peu à peu des remous concentriques allant l’élargissant. La poésie nous rend un temps humain – ce temps dont nous sommes aujourd’hui dépossédés. La poésie permet d’accéder à cette autre temporalité, intérieure.
Puis il nous a menés à lecture d’un autre poème, intitulé Cap sur la liberté, qui s’achève par ces mots :
« Ne vois-tu pas la liberté de tous côtés ?
Sois voile, sois rame, sois gouvernail sois poisson, sois eau,
Va jusqu’où tu pourras. »
Les participants, certains assez perplexes devant ces arrangements de mots auxquels ils sont peu familiers, ont accueilli le silence qui s’est alors déposé entre les murs de la bibliothèque Henri Cartier-Bresson.
Rose-Marie Godier,
animatrice de cercles de lecture